Mar 252016
 

Belloc

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Bellocchio - 2016

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Depuis 1965, avec son premier film, Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio s’est imposé comme un incontournable du cinéma italien. Auteur d’un cinéma de la rupture, en cinquante ans de carrière et une bonne vingtaine de longs métrages, il n’a eu de cesse de pousser dans ses retranchements la société, ouvrant toujours des brèches dans les certitudes qui font les idées et les valeurs sûres. Rencontre avec un jeune cinéaste toujours en colère.

Marco Bellocchio ou le cinéma de la conscience

Famille dégénérée, désirs incestueux et matricide, son premier film sortit sur les écrans comme une crise d‘épilepsie. Des convulsions aussi violentes que soudaines qui agitèrent le cinéma italien. Un coup direct dans le ventre mou de l’Italie de la Démocratie chrétienne. C‘était en 1965. Marco Bellocchio naissait au cinéma avec Les Poings dans les poches. Et contrairement au titre de son film, il tapait du poing sur la table et allait vider ses poches comme on vide son sac pour faire table rase. Un enragé. Marco l’enragé, le baptisa-t-on alors. Marco l’enragé, le désignerait-on désormais.

C’est qu’après la famille, il s’attaquera à la politique – bourgeoise et révolutionnaire (La Chine est proche, 1967), à la religion (Au nom du père, 1972), à la connivence entre presse et pouvoir (Viol en première page, 1972), à l’armée (La Marche triomphale, 1976). En une décennie, il aligne les cibles dans le viseur de sa caméra. Il sera même un temps, à la fin des années 1960, membre de l’UCI, d’obédience maoïste, et s’essaiera au cinéma militant. Derrière Marco l’enragé, Marco l’engagé. De quoi en faire un cinéaste politique, encore aujourd’hui, avec toujours dans sa ligne de mire la famille, les institutions et le pouvoir comme objets critiques de la société italienne.

Mais réduire le cinéma de Bellocchio à ce seul aspect serait passer à côté d’une des œuvres les plus originales de ces cinquante dernières années. Ce serait oublier les années Fagioli (les années 1980-90), du nom du célèbre psychiatre italien Massimo Fagioli, pourfendeur de Freud et adepte de l’analyse collective. Bellocchio ira jusqu‘à l’associer à ses films (Le Diable au corps) et on le lui reprochera. Pourtant, le rapport à la psychanalyse tient une place importante dans le cinéma de Bellocchio. Cinéma-thérapie et thérapie du cinéma. Il y va du cinéma comme de la psychanalyse. Une quête de conscience, un outil pour mieux se connaître et appréhender le monde. Une manière de se libérer de soi par soi. Pour lui : derrière Marco l’enragé, derrière Marco l’engagé, Marco l’encagé ? Peut-être, et cela le regarde. Mais plus particulièrement, et cela (ceux-là) nous regarde(nt), pour ses personnages.
Des personnages extrêmement complexes qui sont, plus que des archétypes visant la critique sociale ou le film psychologique, des individus face à leur conscience et leurs contradictions. La conscience d‘être, mais aussi la conscience morale. Les contradictions des actes et des sentiments. Des personnages aliénés par le collectif, mais que seule la rage ne peut libérer. Des individus en proie au doute ou aux certitudes, à la résignation ou à l’action, mais avant tout face à eux-mêmes. Des personnages profondément humains dont la complexité dépasse le pauvre manichéisme (pour ou contre) de nos débats sur des sujets de sociétés (voir La Belle Endormie ou Le Sourire de ma mère). Cela donne un étrange dialogue entre conscient et inconscient, souvent hanté par le spectre de la santé mentale, sujet permanent de questionnement du cinéma de Bellocchio. Un dialogue qui finit par s’installer, surtout, entre le film et celui qui le regarde.

Ce dialogue, Bellocchio a fini de le mettre en place à travers une écriture cinématographique tout à fait particulière. En faisant de son récit, de sa manière de raconter, la psyché de ses personnages, voire du film lui-même. Cela passera d’abord par sa maîtrise à filmer les intérieurs, souvent des huis clos, appartements ou maisons, comme si l’on déambulait dans un espace mental. Cela passera, de manière plus frappante, par l’utilisation des images et des sons comme deux réalités – la réalité de l’action et celle de la pensée – qui se rejoignent à l‘écran. L’utilisation du cinéma comme projection des émotions dans « Vincere ». Images de fictions contemporaines de l’action et d’actualités qui s’insèrent à la reconstitution historique pour en donner, plus qu’une reconstitution, une reconstruction. L’utilisation des images d’archives télévisuelles dans « Buongiorno, notte » qui sonnent comme un souvenir alors qu’elles sont censées être contemporaines de l’action. Jusqu‘à filmer la culpabilité comme un film de fantôme japonais : les errances d’Aldo Moro, ou de sa projection mentale, dans l’appartement / esprit de la jeune brigadiste Chiara. Une présence de la pensée, imagination et mémoire, filmée au même niveau que celui de l’action (c’est-à-dire affranchie des conventions telles que le flash-back introduit par un fondu enchaîné), voire dans le même plan, qui donne par moment une teinte onirique sinon fantastique.
Comme ces enfants en chemise de nuit, dans « Le Saut dans le vide », revivant un traumatisme passé dans l’appartement de Michel Piccoli et Anouk Aimée sans que ceux-ci ne semblent les voir : des souvenirs comme des apparitions qui hantent leur « appartemental »… L’imagination est réelle, dira un personnage clé de Buongiorno, notte. J’ai besoin de le voir, de m’assurer que ce n’est pas un rêve, dira Chiara dans le même film. Et le rêve est une pensée par images, dirait Fagioli. Bellocchio, lui, la filme. Il prête des images à la pensée. Il met la pensée dans l’image. Et fait du cinéma un véritable espace psychique.

On pourrait alors voir le cinéma de Marco Bellocchio comme l‘émergence en trois temps d’un cinéma de la conscience.
De l’inconscient du cinéma à un cinéma conscient. Une première étape, des Poings dans les poches au Saut dans le vide (1979), où se manifeste un inconscient en révolte contre un ordre établi. Où la forme cherche le fond. Une deuxième étape, des Yeux, la bouche (1982) au Rêve de papillon (1994), celle de l’analyse, qui voit le cinéma passer par la transgression – des sujets et de la forme, où le désordre fait ordre. Où le fond cherche sa forme. Et une troisième étape, du Prince de Hombourg (1997) à nos jours, celle de la conscience, où la forme et le fond se fondent en une nouvelle langue cinématographique (plus qu’un style) précise et unique qui aurait la fluidité, et les ruptures, d’une pensée. Celle de son auteur. Une expérience étrange et passionnante.

Premier film du cycle: le jeudi 14 avril à 21h
« Le Saut dans le vide » (Salto nel vuoto)
Marco Bellocchio. 1979. Italie / France. 120 min. Couleurs. 35 mm. VDFR.
Avec Michel Piccoli, Anouk Aimée, Michele Placido, Gisella Burinato.

La folie et la famille. Une fois de plus, un frère et une sœur. Célibataires tous les deux, ils ont tissé des liens étroits, étouffants. Qui est le plus fou des deux ? Le juge psychorigide ou la grande brune qui parle toute seule la nuit ? Disons le tout de suite, Le Saut dans le vide est une œuvre à part, le film matriciel du cinéma à venir de Bellocchio. En grand maître de cérémonie, le maestro orchestre un étrange ballet claustrophobe, élégant et abstrait. Anouk Aimée se calfeutre et Michel Piccoli écoute aux portes. Aliénation, harcèlement, machination et déambulation. Passé et présent qui s’entrelacent. Et des flashs oniriques comme des griffures. Bellocchio met en place un véritable labyrinthe mental dans lequel le spectateur est invité à se perdre. On en ressort déstabilisé comme un boxeur au réveil d’un KO.

 

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