Jan 152016
 

livrenPar Riccardo Borghesi :
» Le portrait de la « ville éternelle » dressé dans Suburra, est tellement extrême, à mi chemin entre Grozny pendant la guerre de Tchétchénie et Medellin aux beaux temps de Pablo Escobar, ou, si vous préférez, à mi chemin entre Sodome et Gomorrhe, qu’il pourrait sembler une pure fiction.

Mais malheureusement il ne s’agit pas d’une fiction. Les deux auteurs, Giancarlo de Cataldo (juge et auteur de best sellers policiers, dont le très connu « Romanzo criminale ») et Carlo Bonini (journaliste d’investigation à la « Repubblica ») se sont profondément inspirés de la réalité et de l’inextricable écheveau qui relie les milieux du crime, des affaires et de la politique, à l’ombre des palais du pouvoir et de la coupole de Saint Pierre.

L’histoire qu’on raconte ici, est la suite idéale de « Romanzo Criminale». C’est le récit de la façon dont le grand banditisme du siècle dernier a réussi à survivre, à se réinventer et à prendre possession de Rome dans le nouveau contexte de la mondialisation du crime, du berlusconisme et du déclin de l’église catholique.

On parle de politiciens corrompus, de grandes spéculations immobilières, de micro et macro banditisme, de drogue, de prostitution, de violence extrême et gratuite, de règlements de comptes, de massacres, de haut clergé corrompu et inhumain, de policiers salauds et vendus, de mafias de tous bords et provenances. Mais aussi d’hommes de lois idéalistes de grande rigueur morale, et de pauvres épaves humaines, écrasées par ce système corrompu.

L’histoire tourne autour d’une énorme spéculation immobilière, dans la période qui précède la chute du régime berlusconien, mais la colonne vertébrale du roman est un duel. Un duel entre un « mauvais maître » et son élève trahi et blessé dans ses sentiments les plus profonds. Le premier fut idéologue d’extrême droite, fasciste révolutionnaire et « surhommiste », qui, finie l’époque des idéologies, deviendra, en passant par la « Banda della Magliana », le bandit le plus influent de la capitale.

Le deuxième fut son élève préféré, pur dans ses idéaux et dans sa foi (eh oui, à Rome ont existé aussi des fascistes purs et idéalistes!) qui, une fois trahi par la trajectoire criminelle du maître, deviendra le policier le plus aguerri en service à Rome. Maître et élève se livreront bataille jusqu’à la dernière page.

Certaines choses du roman ne m’ont pas convaincu. Je parle de certains personnages caricaturaux et excessifs, comme Alice la batailleuse, tellement pure et ingénue qu’elle en devient insupportable. Ou le recours à certains des topos les plus banals du roman policier à l’italienne: l’amour entre opposés, voué au naufrage par incompréhension; les personnages qui racontent les morceaux de musique qu’ils sont en train d’écouter (insupportable!); le recours aux hackers pour fouiller via internet sur les serveurs des méchants; le jeune et bon policier du Frioul, naïf et intègre. Ingénuités dignes d’un élève de première année d’école de scénariste.

Quoi qu’il en soit, et malgré cela, le roman est entraînant et prenant, on le lit d’une seule traite. Il est épique, riche en histoires les unes plus épouvantables que les autres, plein de super-méchants dignes des aventures de Spiderman. Le lecteur qui ne connaît pas Rome et son histoire récente, pourrait en rester stupéfait.

PS 1: la sortie du roman suit de deux mois celle de son adaptation cinématographique. Je dois dire que, même si De Cataldo a participé à l’écriture du scénario, le livre est extrêmement plus riche et intéressant. Dans le film la police disparaît laissant la ville complètement entre les mains des bandits; le rôle du Vatican devient effacé, même s’il est le moteur des affaires et de la corruption. Disparaît aussi le duel, qui est le cœur du roman.

PS 2: pour ceux qui voudraient mieux comprendre ce qu’on entend par idéologie fasciste révolutionnaire, et comment il est possible de se croire pur tout en adorant le Duce, je conseille la lecture du très beau roman de Antonio Pennacchi, « Il Fasciocomunista » (« Mon Frère est fils unique », c’est le malheureux titre de la traduction française), qui relate de la guerre d’idéologie extrême-droite/extrême-gauche dans la Rome des années soixante-dix. «
Riccardo Borghesi

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